Foire aux questions

> Qu’est-ce qu’une abeille locale ?

L’abeille mellifère est apparue quelque part entre le Moyen-Orient et le Nord-Est de l’Afrique il y a un million d’années. Elle s’est, depuis lors, répandue partout en Europe et en Asie. Accompagnant les pérégrinations humaines, elle est désormais présente sur tous les continents (à part l’Antarctique).

Partout où elle s’est établie, l’abeille mellifère s’est adaptée. Comme toutes les espèces vivantes, elle a évolué avec son environnement : le climat, la flore disponible, les prédateurs, les maladies. Seules les plus adaptées à ces contraintes et avantages locaux ont survécu et perduré.

Désormais, l’espèce Apis mellifera regroupe cinq lignées et près d’une trentaine de sous-espèces, qui présentent toutes des caractéristiques communes, mais aussi des différences, en termes physionomiques ou comportementaux.

Par exemple, l’abeille carniolienne, Apis mellifera carnica, qu’on trouve en Slovénie et dans les pays voisins, sait bien s’adapter au froid et à l’altitude. Elle a de grandes ailes et une longue langue qui lui permet de butiner une large gamme de fleurs.

L’abeille italienne, Apis mellifera ligustica, a une robe de dominante jaune. Elle se défend bien contre le varroa, un parasite des abeilles et de leur couvain, mais elle est fragile au froid. Elle produit beaucoup de miel, mais en consomme aussi beaucoup, notamment pendant l’hiver.

> En France, a-t-on une abeille locale ?

Oui, l’abeille noire, appelée Apis mellifera mellifera, est la sous-espèce endémique en France, et la plus répandue en Europe, des Pyrénées à la Scandinavie. Elle a été la première décrite par le célèbre naturaliste suédois Carl von Linné, au XVIIIe siècle. Les abeilles noires qu’on trouve aujourd’hui sont les descendantes de quelques colonies qui ont survécu à l’alternance de deux glaciations et de périodes plus chaudes au cours des dernières centaines de milliers d’années. On dit de cette sous-espèce qu’elle est « rustique » car elle peut supporter des conditions de vie difficiles. Elle sait économiser ses réserves de miel pour traverser des hivers longs et rigoureux et la reine est capable d’arrêter de pondre en période de fortes pluies comme de sécheresse, en attendant des jours meilleurs. Les spécialistes, comme Lionel Garnery, du Centre national pour la recherche scientifique (CNRS), pense qu’« elle a un potentiel de réaction au changement climatique que les autres souches n’ont pas ».

Cette sous-espèce regroupe elle-même de nombreux écotypes locaux : l’abeille de Savoie n’a pas les mêmes qualités et défauts que ses cousines des Cévennes ou de Normandie. Chacun a ses spécificités et cette diversité doit être protégée.

> Pourquoi les abeilles locales sont-elles en danger ?

Toutes les abeilles sont en danger, mais les écotypes locaux plus encore.

Toutes les abeilles sont menacées par les pesticides, en premier lieu. Certains de ces produits toxiques les tuent directement, tandis que d’autres les rendent malades, perturbent leur comportement (les empêchant par exemple de retrouver le chemin de la ruche après une sortie) et fragilisent ainsi la survie des colonies dans leur ensemble. D’autres détruisent les plantes sauvages, sources de diversité alimentaire indispensable aux abeilles. Et tous empoisonnent leur environnement : l’eau qu’elles boivent, les plantes cultivées qu’elles pollinisent, la terre dans laquelle certaines abeilles sauvages font leur nid… Les monocultures et la disparition des haies dans nos campagnes privent aussi les abeilles d’une variété de ressources et des refuges dont elles ont besoin. Des espèces invasives, comme le frelon asiatique ou le parasite varroa, déciment aussi les ruches.

Les sous-espèces et écotypes locaux sont particulièrement en danger car, pour faire face à toutes les calamités ci-dessus, les apiculteurs ont dû avoir recours à l’importation de reines et d’abeilles d’autres sous-espèces, venues de l’étranger, pour repeupler leurs ruches. À court terme, ces importations permettent de sauver une saison de production ou une miellée. Mais, à long terme, elles menacent encore plus leurs colonies. Car ces abeilles importées sont moins adaptées au climat et à la flore de ce territoire nouveau dans lequel on les installe. Elles ont ainsi moins de chance de survivre que les souches locales. Et elles vont s’hybrider, se « croiser » avec les abeilles locales, mélanger leurs gènes et diluer, voire faire disparaître, au fil des générations, les qualités réunies dans les abeilles locales.

Ainsi, Lionel Garnery constate que 30 à 40 % des populations d’abeilles qu’il étudie en France sont hybridées.

Qui plus est, pour essayer de trouver des espaces encore exempts de pesticides et des environnements plus propices pour leurs abeilles, les apiculteurs retirent leurs ruches des zones de grande culture pour les installer dans des espaces naturels. Ce faisant, leurs abeilles étrangères ou hybrides vont s’hybrider encore avec les abeilles sauvages et faire disparaître un peu plus leurs spécificités.

> Comment protéger les abeilles locales ?

Des associations de passionnés des abeilles et amoureux de l’apiculture traditionnelle ont créé un peu partout en Europe des conservatoires d’abeilles locales, notamment des conservatoires de l’abeille noire – parfois depuis plus de trente ans. En France, POLLINIS a initié leur regroupement au sein de la Fédération européenne des Conservatoires de l’abeille noire (FEdCAN) créée en 2015.

> Comment fonctionnent les conservatoires d’abeilles locales ?

Pour y protéger les sous-espèces locales d’éventuelles hybridations par d’autres souches, les conservatoires prévoient des « zones cœur », de 3 km de rayon, dans lesquelles ne sont élevées que des abeilles locales, les plus pures possible, et où les apiculteurs doivent élever les abeilles dans le respect d’un cahier des charges précis : pas de clippage (raccourcissement des ailes des reines pour les empêcher de voler), pas d’insémination artificielle, pas de récolte tardive de miel pour laisser suffisamment de réserves aux abeilles pour l’hiver, pas de transhumance… Autour, des zones-tampon de 7 km sont prévues ; c’est la distance moyenne que parcourt un faux-bourdon (mâle de l’abeille) pour se reproduire. Il faut éviter que des ruches d’abeilles exogènes soient introduites, même temporairement, dans ces zones.

> Pourquoi les conservatoires ont-ils besoin d’une protection juridique ?

Le travail de ces conservatoires est difficile, car il ne tient qu’à la bonne volonté des acteurs locaux. Or, il suffit qu’une seule ruche peuplée d’abeilles non-indigènes soit placée dans le périmètre d’un conservatoire, par ignorance ou malfaisance, pour que des décennies de travail de conservation soient anéanties. Des mesures législatives ou réglementaires pour définir ces conservatoires, imposer des règles de fonctionnement et instaurer des pénalités pour ceux qui les transgressent sont donc nécessaires.