Le combat de #savelocalbees

Préserver plus de 100 millions d’années d’évolution

Le plus ancien fossile d’abeille connu a été retrouvé en Birmanie, figé dans l’ambre depuis 100 millions d’années. L’abeille elle-même serait apparue sur Terre plus tôt encore : il y a quelque 185 millions d’années. Ces millions d’années ont permis aux premières butineuses d’évoluer en de multiples espèces. Elles sont ainsi parvenues à trouver leur place sur tous les continents (sauf l’Antarctique). Environ 20 000 espèces d’abeilles sont répertoriées dans le monde. On en compte 2 000 en Europe et près de 1 000 en France. La plupart sont sauvages et solitaires et se nourrissent directement du nectar des fleurs. Une seule espèce produit du miel, qu’elle met en réserve dans des rayons de cire. C’est Apis mellifera. Et Apis mellifera elle-même n’est pas « une », mais une multitude de sous-espèces qui ont divergé sur le plan génétique en fonction de leur environnement.

Préserver une adaptation exceptionnelle à différents environnements

Certaines sous-espèces d’Apis mellifera ont développé une aptitude à supporter des climats chauds et secs, d’autres sont mieux adaptées à une vie en altitude ; certaines sont capables de butiner plus tôt ou plus tard dans la saison, ou, avec une trompe plus ou moins longue, ne butinent que certaines espèces de fleurs.

Les barrières géographiques les ont aussi conduites à diverger les unes des autres. Ainsi, Apis mellifera iberiensis s’est différenciée dans la péninsule ibérique – incapable de franchir les montagnes pyrénéennes –, et Apis mellifera ligustica s’est trouvée arrêtée par les Alpes en Italie, tandis qu’Apis mellifera melllifera, dite abeille noire, a su coloniser tout le Nord et l’Ouest de l’Europe, mais pas le Sud, séparée elle aussi de ses « cousines » par ces mêmes chaînes montagneuses. Des abeilles insulaires se sont aussi différenciées des sous-espèces continentales, à l’instar d’Apis mellifera sicula, typique de la Sicile.

À une échelle plus fine, on distingue encore différents écotypes au sein des sous-espèces. En Europe de l’Ouest, par exemple, les écotypes locaux d’abeilles noires arborent des caractères typiques d’une abeille « atlantique », qui se plaît dans un environnement tempéré, sans chaleurs ni froids extrêmes. L’abeille des Landes, en particulier, a adapté son cycle de butinage à l’apparition de la bruyère au mois d’août, tandis que l’abeille normande butine les fleurs de pommier dès le mois d’avril. En région méditerranéenne, en Provence ou en Corse, l’écotype local pond moins en été (période de fortes chaleurs et de sécheresse), mais il présente un second pic de ponte à l’automne. L’abeille noire de Savoie, quant à elle, sait supporter les conditions difficiles de la vie en montagne : rustique, économe, elle peut passer six mois sous la neige, quand les autres abeilles n’y survivraient pas. En Russie continentale et orientale, les abeilles indigènes sont capables de supporter des hivers très froids comme des étés très chauds1.

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Conserver une résilience face aux maladies et autres fléaux

À force d’être confrontés à un virus, un parasite, un prédateur ou à toute autre épreuve, les êtres vivants développent des mécanismes de résistance ou d’adaptation. C’est la « sélection naturelle » qui s’opère : une partie de la population affectée succombe, mais les individus ou les groupes d’individus plus résiliants parviennent à survivre, perdurent et se multiplient. Une étude en cours est par exemple en train d’apporter la démonstration d’une adaptation des abeilles de l’île de Groix au parasite Varroa destructor. Cet acarien est un fléau qui décime les colonies d’abeilles partout dans le monde. Il parasite les abeilles et véhicule avec lui un virus (le virus des ailes déformées) lui aussi dévastateur pour ces insectes. Si les abeilles de l’île de Groix lui tiennent tête, c’est que ce sont des abeilles d’origine locale, parfaitement adaptées à tous les autres aléas de leur environnement, et préservées par une réglementation insulaire qui interdit l’introduction d’autres abeilles venues du continent.

Défendre une biodiversité menacée

40 % des espèces d’insectes sont menacées selon une vaste analyse de 73 études publiée dans Biological Conversation en avril 2019. Selon les Nations Unies (ONU), les taux d’extinction des pollinisateurs sont actuellement 100 à 1 000 fois plus élevés que la normale, à cause des activités humaines2.

Aujourd’hui, les abeilles d’élevage, comme les pollinisateurs en général, sont menacés par les pesticides, par de nouvelles maladies et prédateurs, par l’appauvrissement de la végétation et donc de leurs ressources en nourriture.

Préserver des qualités confirmées par la science

Une étude menée par Ralph Büchler, de l’Institut de l’abeille de Kirchhain (Allemagne) a mis en évidence, sur 600 ruches à travers l’Europe, que les colonies abritant une reine d’origine locale survivent mieux que celles dont la reine est importée3.

« Dans le cas de l’abeille, les sous-espèces d’Apis mellifera se distinguent notamment par leur adaptation à leurs environnements respectifs. Ainsi, en hybridant différentes sous-espèces, ces adaptations à leurs environnements pourront être perdues et avoir des conséquences non négligeables sur les sous-espèces considérées », avance Bénédicte Bertrand, généticienne des abeilles, dans sa thèse de doctorat4. Elle rapporte aussi le constat de William Perry, de l’Illinois State University : « L’hybridation entre une espèce locale et une importée peut avoir des impacts significatifs sur les espèces locales, allant jusqu’à l’extinction de celles-ci »5.
Une analyse confirmée encore par Jonathan Ellis, de l’Université de Plymouth : « L’hybridation et l’introgression peuvent avoir des impacts négatifs sur la biodiversité régionale à travers l’érosion potentielle de lignées localement adaptées »6.

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Promouvoir une apiculture respectueuse des abeilles locales

« Les abeilles n’ont pas besoin de nous. Nous avons besoin des abeilles », aime à rappeler Jeffery Pettis, entomologiste américain spécialiste du comportement des abeilles7. Ce n’est qu’il y a 5 000 ans environ que l’homme a commencé à fabriquer des ruches pour y élever des colonies d’abeilles et récolter leurs productions.

Pour faire face à ce qu’on appelle l’effondrement des colonies d’abeilles, de plus en plus d’apiculteurs ont recours à l’importation de reines ou de colonies venues de l’étranger. En tentant ainsi de sauver leur récolte de l’année et en espérant repeupler leurs ruches, ils affaiblissent en fait leur « cheptel », car ces abeilles et les descendantes de ces reines, nées d’hybridation avec des abeilles locales, sont moins adaptées à l’environnement local que les natives et sont donc fragilisées.

« C’est une catastrophe, affirme Lionel Garnery, spécialiste français de la génétique des abeilles au CNRS. Aujourd’hui, les apiculteurs ne savent plus quel type d’abeilles ils ont dans leurs ruches. Il n’y a pratiquement plus de souches d’abeilles locales pures et donc on est en train de perdre les principales caractéristiques d’adaptation de nos abeilles au climat et à l’environnement. »

Une population d’abeilles locales est capable de s’adapter aux changements de son environnement en quelques générations, à condition de la laisser faire, de ne pas interférer en maintenant en vie artificiellement des colonies trop faibles par exemple au travers d’un nourrissement au sucre de plus en plus important ou en introduisant des abeilles venues d’ailleurs qui ne connaissent pas leur nouvel environnement ou qui sont complètement inadaptées au climat local.

Protéger les « sanctuaires » d’abeilles locales

Des conservatoires se mettent en place un peu partout en Europe, dans des zones protégées, loin des zones d’agriculture intensive et des grandes métropoles, ou dans des lieux isolées (comme les îles). Il existe ainsi 10 conservatoires de l’abeille noire en France, gérés par des associations locales d’apiculteurs. Les cahiers des charges de ces conservatoires interdisent bien sûr l’introduction volontaire de reines ou de colonies étrangères sur ces territoires et privilégient une apiculture à l’écoute des besoins naturels des abeilles. Une étude de M. Alice Pinto met en évidence que les programmes de conservation de l’abeille noire portent largement leurs fruits. En effet, dans des zones protégées de Norvège ou d’Écosse, les abeilles sont « pures » à 97-99 %. Dans des zones non protégées au contraire, elles présentent entre 34 et 69 % d’ADN étranger8.

En 2013, Bénédicte Bertrand montrait, elle, que, dans six conservatoires français, les colonies présentaient en moyenne des taux d’introgression de 10 %, mais elle ajoutait que les populations présentant plus de 80 % d’abeille noire représentent « un bon point de départ » pour la conservation de l’abeille noire. On constate aussi que les populations insulaires d’abeilles, certes mieux protégées de l’introgression, sont néanmoins parfois trop peu nombreuses : « il faudrait identifier d’autres populations pures d’A. m. mellifera afin d’apporter la diversité génétique suffisante pour pallier l’effet de fondation [perte de variation génétique, ndlr] de cette population ».

Les conservatoires doivent donc être protégés, respectés, étendus et se multiplier pour assurer la conservation des abeilles locales. C’est le combat de #SaveLocalBees.

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Références

1. Ruttner et al., 1990. The Dark European Honey Bee. British Isles Bee Breeders’ Association.

2. Action globale de la Food and Agriculture Organization of the United States en faveur des services de pollinisation pour une agriculture durable.

3. Büchler et al., 2014. The influence of genetic origin and its interaction with environmental effects on the survival of Apis mellifera L. colonies in Europe. Journal of Apicultural Research.

4. Bertrand Bénédicte. Analyse de la diversité génétique de populations d’abeilles de la lignée ouest-méditerranéenne (Apis mellifera mellifera) : application à la conservation. Thèse de doctorat en biologie moléculaire et génétique.

5. Perry et Lodge, 2002. Importance of Hybridization Between Indigenous and Nonindigenous Freshwater Species: An Overlooked Threat to North American Biodiversity. Systematic Biology.

6. Ellis, Jonathan et al., 2018. Introgression in native populations of Apis mellifera mellifera L: implications for conservation. Journal of Insect Conservation.

7. Voir la vidéo sur le conservatoire de l’île de Groix.

8. Pinto et al., 2014. Genetic integrity of the Dark European honey bee (Apis mellifera mellifera) from protected populations – A genome-wide assessment using SNPs and mtDNA sequence data.Journal of Apicultural Research.